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mercredi 8 avril 2015

Bouh!

                                                                                          


Histoires de pêche, Daniel Lefaivre, blogue de pêche, pêche au Québec
Crédit image: https://pixabay.com/
Réal n'est pas très brave. Disons qu'il est plutôt d'un tempérament nerveux et très très sanguin. C'est un peu le type qui éprouve de la difficulté à se contrôler en situation de panique.
À la vue d'un orignal, il avait déjà failli faire chavirer le bateau, comme ça, pour rien, juste parce qu'il était sur le gros nerf... Curieusement, c’est toujours à ce genre d'individu qu’on s’en prend pour faire un coup « pendable »!...

Et c’est ce qui lui arriva!

La table à dépecer (une pièce de contre-plaqué fixée à deux souches) était située loin derrière le camp, en pleine forêt. Réal s'installait tranquillement en sifflant des airs que personne ne
pouvait reconnaître. Tentait-il déjà de contenir sa peur de la noirceur, ou appréhendait-il d'imminents dangers qui provenaient du boisé en sifflant de la sorte? Sans doute. Sans doute.
Une petite ampoule électrique suspendue au bout d’un fil faisait office d’éclairage et le peu de lumière diffusée créait une aura qui amplifiait certaines ombres.  La nervosité de Réal était palpable et on comprenait clairement que son intention était de se débarrasser de cette tâche le plus vite possible.

Et les chums connaissaient bien les craintes de Réal. Et ce soir-là, ils n'allaient pas le manquer, histoire de se foutre totalement de sa gueule.

Profitant du moment où Réal quittait l’installation rudimentaire pour aller chercher les poissons laissés dans l'embarcation, Denis disparut dans la forêt et se terra sous la table de travail. La noirceur aidant, il était facile de le confonde avec le paysage. D'ailleurs, les herbes hautes entre les deux souches qui servaient de pattes à la table permettaient un camouflage parfait. Richard, Claude, Manon, Nicole et Luc observaient la scène, mine de rien, près du feu de camp.

Réal revenait avec les chaînes à poissons. Il les déposa, prépara une chaudière, rapprocha la poubelle et alluma la lanterne au propane afin d’obtenir un éclairage suffisant. Denis restait immobile sous la table. De nombreux insectes virevoltaient autour de la lumière et se rassemblaient sur le cou et les mains de Réal qui faisait des gestes brusques pour s’en débarrasser. Une fraîche senteur d'épinette aurait pu être appréciée, n’eussent été ces foutues bibittes qui lui empoisonnaient l'existence. Réal écoutait les quelques bruits incongrus qu'offre la forêt quand elle s'endort, et demeurait aux aguets.

Rapidement, la crainte s'empara de lui. Un animal féroce rôdait peut-être dans les parages. Allait-il être surpris par une quelconque forme vivante? Chose certaine, Réal allait accélérer le rythme. Il pensait même laisser les plus petites perchaudes aux animaux, ce qui lui éviterait de
« fuckoyer » en tentant de faire des filets avec de si petits poissons. Et il pouvait toujours prétexter que les « bebittes » l’avaient empêché de terminer son travail...

Dans sa cachette, Denis, délicatement, tendit un bras entre les jambes de Réal qui sifflait, toujours affairé qu'il était. Subitement, dans un geste brusque et violent, il empoigna le
fond de culotte et le sexe de Réal en lâchant un horrible rugissement qui n'était pas sans rappeler celui d'un loup-garou en colère! Réal éclata! Il laissa échapper un épouvantable cri d’horreur, un hurlement qui s’entendait à des milles à la ronde. Sous le choc, il se propulsa très haut dans les airs et quand il retomba sur le derrière, ses pieds poussaient le sol comme un bébé qui apprend à se reculer en position assise… On aurait aussi juré que les yeux allaient lui sortir de la tête.

Puis Réal se releva et s’éloigna de quelques pas, comme pour mieux se sortir de l'impasse. Il demeura consterné par l'effet de surprise. Denis pouffa de rire et se frappa la tête contre la table en se relevant. Les autres complices s'étaient déjà rapprochés pour ne rien manquer.

— Gang de maudits malades! lâcha Réal, enragé.
Pour toute réponse, il ne reçut que des rires qui se faisaient de plus en plus intenses.
— Y m'a pogné la poche, l'ostie d'épais! C'est pas une farce à faire... J’aurais pu me couper, gang de maudits malades! Cé même pas drôle... Maudit que j’ai eu peur, vous vous rendez pas
compte?

Autour de Réal, on se bidonnait toujours en se tenant le ventre et en se frappant les cuisses. On pouvait entendre :

« L'as-tu vu lever? »
« Y as-tu capoté à ton goût? »
«Y s'y attendait pas pantoute ! »  
« Je l’ai jamais  entendu crier de même! »
« As-tu fait dans tes culottes? »...

Réal mit plusieurs jours à se remettre de ses émotions. Il sursautait pour rien, au moindre bruit. Le séjour de pêche terminé, il demeura de longs mois sans jamais adresser la parole aux camarades. Son mutisme signifiait la fin d'une vieille amitié.

Puis, un soir de réconciliation, préparant une prochaine excursion de pêche avec les chums, Réal les avisa :


— Je veux bien retourner à la pêche avec vous, mais faites ben attention… Vous risquez d'y goûter, j'vas me reprendre, ça va être à mon tour. Vous allez voir c'que cé de s'faire pogner la poche en pleine noirceur. J’vous en passe un papier...  Je vous jure, vous allez être sur les nerfs tout le temps, vous avez pas idée de ce que je vous prépare!


La suite très bientôt de cette insolite histoire de pêche!
À suivre, une histoire inédite!

Daniel Lefaivre

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